Miel
Court texte narratif d'horreur
¡ Attention, âme sensible s'abstenir !Iels se retrouvèrent rassemblé.e.s dans une salle de taille moyenne, sobrement meublée de gradins et d’espaces libres facilitant la circulation. Après leur long et désespérant pèlerinage à travers les couloirs labyrinthiques de pierre froide dont iels ignoraient tout, iels s’écroulèrent par petits groupes, sur les bancs, à même le sol, les un.e sur les autres pour certain.es, isolé.e.s pour d’autres. L’épuisement faisait fi de leur raison, aussi la plupart se contentaient de régénérer leur corps, sans se questionner sur ce qui devrait, immanquablement, advenir dans cette pièce. Iels ne pouvaient pas y avoir été mené.e.s par hasard.
Je faisais partie de celleux qui, amené.e.s en ces lieux sans aucun.e des leur.e.s, et n’ayant cherché à se rapprocher d’aucun.e de leur.e.s semblables, restaient solitaires, en retrait. Je m’étais moi aussi avachie sur un bout de gradin, épuisée. Mes muscles tétanisés par l’humidité glaçante s’infiltrant au travers de mon corps, mon esprit usé par un questionnement incessant et vain, je sombrais dans la torpeur. Mes yeux étaient rivés sur celleux regroupé.e.s en face de moi. Sur leurs corps qui se serraient, une main sur une épaule, une tête dans une nuque, un regard qui veut dire : «T’inquiètes pas, je reste là, près de toi, on est deux alors ça ira». Leur douceur dans le désespoir me fascinait.
Lorsque soudain un écran dont la présence s’était faite si discrète que personne n’avait paru le remarquer jusque là s’alluma. Une série de plans y défila, les scènes juxtaposées d’un même film, présenté comme en accéléré. L’apparition s’était faite si subitement que nous restions toustes figé.e.s devant les images, hypnotisé.e.s par leur mouvement saccadé, notre esprit malgré nous s’efforçait déjà de donner un sens aux séquences, d’assembler le scénario. Ce qui se serait produit en quelques fractions de minutes si un cri ne s’était élevé dans la foule. Un cri qui n’était que supplication tant il était faible. Toutefois il fut repris par une autre voix, plus ferme mais tout aussi terrorisée, provenant de la même direction. C’était un signal d’alarme autant que de détresse qui, sans avoir eu besoin de l’usage des mots, renvoyait le message unique : éteignez ça, détruisez le.
Une figure se dessina alors, émergeant de la masse des corps avachis, et bondit en avant. Simultanément, un message, cette fois composé de mots chuchotés, se propagea.
«C’est le film dans lequel son frère est mort»
Malgré le message d’alarme, les yeux restaient rivés sur l’écran et les personnages qui y évoluaient. Il s’agissait d’un film d’horreur des plus classiques, et dans chaque scène diffusée à l’écran apparaissait la même jeune femme aux cheveux blonds d’un miel si pâle et pourtant naturel. Une chevelure qu’il était impossible de ne pas remarquer, et qui détonnait dans la salle grise de pierre humide, quand bien même elle était entourée de dizaines d’autres.
Alors que la jeune femme qui s’était levée bataillait à tenter de débrancher les câbles, les regards se mirent à osciller entre les personnages à l’écran, de plus en plus torturés par le danger qu’ils affrontaient, et le corps recroquevillé dont seul une petite tâche de miel dépassait de la masse des corps qui l’entouraient en vain. Elle était seule dans l’horreur de ce que la scène qu’elle était en train de vivre représentait, pour elle et pour elle seule.
Ce qui bientôt ne serait plus le cas.
Enfin, la torpeur qui me paralysait explosa, et je me précipitai à mon tour vers le moniteur. Tandis que la première protagoniste tentait d’agir sur l’alimentation du matériel, je dirigeai mon doigt vers le bouton off. Si simple que ça devait fonctionner. Mon index tendu était si proche du but que déjà je sentais le contact de ma peau avec le plastique rugueux se profiler dans mon esprit.
Seulement, c’est une autre sensation qui me gagna en premier.
Au travers de mon dos, une masse allongée se mit à vibrer à droite de ma colonne vertébrale. Un objet pourvu d’une masse impensable s’était accroché à moi. Écrasée, je fus prise d’une panique et d’une angoisse incontrôlable. Je ne pus que hurler, mais c’est un cri faible et décharné qui sortit de ma gorge, si désespérément étouffé qu’il se dissipa instantanément dans le tumulte de la foule à présent affolée. Cette dernière m’apparut tout à coup si petite et lointaine, et je compris que dans la terreur de sentir cette forme vibrer fermement contre moi et à travers tout mon être, je n’avais même pas senti mes pieds décoller de terre. Arque-boutée vers le ciel, les membres et la nuque tendus vers l’arrière, la poitrine ouverte, je flottais. Je sentais lentement et inexorablement ma conscience se détacher de mon corps, assistant à la scène en spectatrice impuissante.
Ma panique, accrue par mon impuissance à libérer les hurlements qui me broyaient la gorge, était dévorante. Je réalisai avec épouvante que personne dans cette pièce ne pourrait me porter secours.Alors je cessai de m’efforcer à crier.
Ce fut un déclic. L’adrénaline qui jusqu’alors bouillonnait dans mon corps et brouillait tous mes sens se canalisa. L’urgence et la peur devinrent alliées. En une fraction de secondes je compris que pour survivre, je devais oublier. Oublier l’angoisse, oublier le danger.
Respirer.
C’était maintenant que je devais réussir, peu importait que ce soit mille fois plus dur que toutes les fois précédentes où j’avais essayé. Je devais me libérer de l’urgence, me libérer de la peur.
Je croisai les jambes, redressai mon buste, fermai les yeux. J’ouvris les paumes et les bras en grand vers le ciel. Mes pouces rejoignirent leurs index.
Je sentis mon corps descendre doucement vers le sol. Je n’y prêtai pas attention. Je me contentais de respirer. Je ne pensais plus à rien d’autre que mes poumons qui se remplissaient avant de se vider, à la fraîcheur bienveillante de l’air. Je sentais des courants se mouvoir à l’intérieur de moi. Je me laisse évaporer.
¡ Attention, âme sensible s'abstenir !Iels se retrouvèrent rassemblé.e.s dans une salle de taille moyenne, sobrement meublée de gradins et d’espaces libres facilitant la circulation. Après leur long et désespérant pèlerinage à travers les couloirs labyrinthiques de pierre froide dont iels ignoraient tout, iels s’écroulèrent par petits groupes, sur les bancs, à même le sol, les un.e sur les autres pour certain.es, isolé.e.s pour d’autres. L’épuisement faisait fi de leur raison, aussi la plupart se contentaient de régénérer leur corps, sans se questionner sur ce qui devrait, immanquablement, advenir dans cette pièce. Iels ne pouvaient pas y avoir été mené.e.s par hasard.
Je faisais partie de celleux qui, amené.e.s en ces lieux sans aucun.e des leur.e.s, et n’ayant cherché à se rapprocher d’aucun.e de leur.e.s semblables, restaient solitaires, en retrait. Je m’étais moi aussi avachie sur un bout de gradin, épuisée. Mes muscles tétanisés par l’humidité glaçante s’infiltrant au travers de mon corps, mon esprit usé par un questionnement incessant et vain, je sombrais dans la torpeur. Mes yeux étaient rivés sur celleux regroupé.e.s en face de moi. Sur leurs corps qui se serraient, une main sur une épaule, une tête dans une nuque, un regard qui veut dire : «T’inquiètes pas, je reste là, près de toi, on est deux alors ça ira». Leur douceur dans le désespoir me fascinait.
Lorsque soudain un écran dont la présence s’était faite si discrète que personne n’avait paru le remarquer jusque là s’alluma. Une série de plans y défila, les scènes juxtaposées d’un même film, présenté comme en accéléré. L’apparition s’était faite si subitement que nous restions toustes figé.e.s devant les images, hypnotisé.e.s par leur mouvement saccadé, notre esprit malgré nous s’efforçait déjà de donner un sens aux séquences, d’assembler le scénario. Ce qui se serait produit en quelques fractions de minutes si un cri ne s’était élevé dans la foule. Un cri qui n’était que supplication tant il était faible. Toutefois il fut repris par une autre voix, plus ferme mais tout aussi terrorisée, provenant de la même direction. C’était un signal d’alarme autant que de détresse qui, sans avoir eu besoin de l’usage des mots, renvoyait le message unique : éteignez ça, détruisez le.
Une figure se dessina alors, émergeant de la masse des corps avachis, et bondit en avant. Simultanément, un message, cette fois composé de mots chuchotés, se propagea.
«C’est le film dans lequel son frère est mort»
Malgré le message d’alarme, les yeux restaient rivés sur l’écran et les personnages qui y évoluaient. Il s’agissait d’un film d’horreur des plus classiques, et dans chaque scène diffusée à l’écran apparaissait la même jeune femme aux cheveux blonds d’un miel si pâle et pourtant naturel. Une chevelure qu’il était impossible de ne pas remarquer, et qui détonnait dans la salle grise de pierre humide, quand bien même elle était entourée de dizaines d’autres.
Alors que la jeune femme qui s’était levée bataillait à tenter de débrancher les câbles, les regards se mirent à osciller entre les personnages à l’écran, de plus en plus torturés par le danger qu’ils affrontaient, et le corps recroquevillé dont seul une petite tâche de miel dépassait de la masse des corps qui l’entouraient en vain. Elle était seule dans l’horreur de ce que la scène qu’elle était en train de vivre représentait, pour elle et pour elle seule.
Ce qui bientôt ne serait plus le cas.
Enfin, la torpeur qui me paralysait explosa, et je me précipitai à mon tour vers le moniteur. Tandis que la première protagoniste tentait d’agir sur l’alimentation du matériel, je dirigeai mon doigt vers le bouton off. Si simple que ça devait fonctionner. Mon index tendu était si proche du but que déjà je sentais le contact de ma peau avec le plastique rugueux se profiler dans mon esprit.
Seulement, c’est une autre sensation qui me gagna en premier.
Au travers de mon dos, une masse allongée se mit à vibrer à droite de ma colonne vertébrale. Un objet pourvu d’une masse impensable s’était accroché à moi. Écrasée, je fus prise d’une panique et d’une angoisse incontrôlable. Je ne pus que hurler, mais c’est un cri faible et décharné qui sortit de ma gorge, si désespérément étouffé qu’il se dissipa instantanément dans le tumulte de la foule à présent affolée. Cette dernière m’apparut tout à coup si petite et lointaine, et je compris que dans la terreur de sentir cette forme vibrer fermement contre moi et à travers tout mon être, je n’avais même pas senti mes pieds décoller de terre. Arque-boutée vers le ciel, les membres et la nuque tendus vers l’arrière, la poitrine ouverte, je flottais. Je sentais lentement et inexorablement ma conscience se détacher de mon corps, assistant à la scène en spectatrice impuissante.
Ma panique, accrue par mon impuissance à libérer les hurlements qui me broyaient la gorge, était dévorante. Je réalisai avec épouvante que personne dans cette pièce ne pourrait me porter secours.Alors je cessai de m’efforcer à crier.
Ce fut un déclic. L’adrénaline qui jusqu’alors bouillonnait dans mon corps et brouillait tous mes sens se canalisa. L’urgence et la peur devinrent alliées. En une fraction de secondes je compris que pour survivre, je devais oublier. Oublier l’angoisse, oublier le danger.
Respirer.
C’était maintenant que je devais réussir, peu importait que ce soit mille fois plus dur que toutes les fois précédentes où j’avais essayé. Je devais me libérer de l’urgence, me libérer de la peur.
Je croisai les jambes, redressai mon buste, fermai les yeux. J’ouvris les paumes et les bras en grand vers le ciel. Mes pouces rejoignirent leurs index.
Je sentis mon corps descendre doucement vers le sol. Je n’y prêtai pas attention. Je me contentais de respirer. Je ne pensais plus à rien d’autre que mes poumons qui se remplissaient avant de se vider, à la fraîcheur bienveillante de l’air. Je sentais des courants se mouvoir à l’intérieur de moi. Je me laisse évaporer.